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Et si l’économie collaborative était au fond inspirée de la Nature ? C’est en tout cas l’avis de Gaëtan Dartevelle, co-fondateur de Biomimicry Europa et directeur de Greenloop. Interview

On ne présente plus le biomimétisme, principe vulgarisé à la fin des années 90 par la biologiste américaine Janine Benyus selon lequel la Nature dans la diversité de ses formes, procédés et stratégies peut être une source d’enrichissement et d’innovation pour nos propres systèmes humains.

Du scratch de nos baskets – invention inspirée de la Badiane- au train Japonais -réplique du bec profilé du martin-pêcheur- nombreuses sont les innovations de notre environnement quotidien qui utilisent une intelligence forgée par plusieurs millions d’années d’évolution.

Les systèmes d’échanges n’y dérogent pas. L’association Nature et Business peut porter ses fruits et permettre une plus grande efficience et résilience de notre système productif. Giles Hutchins, auteur de The Nature of Business l’affirme : nos entreprises doivent évoluer et se rapprocher des organismes vivants pour sortir du monolithisme mécanique d’une ère industrielle passée.

La crise de notre système impose en effet un bouleversement de nos façons de créer, concevoir et échanger qu’incarnent notamment le peer-to-peer et l’économie collaborative. C’est la vision que nous propose Gaëtan Dartevelle.

Quel est le point commun entre le biomimétisme et l’économie collaborative ?

Les chercheurs ont récemment découvert l’un des principes biologiques de la nature : les espèces vivantes collaborent dans un cadre qui peut être concurrentiel. La collaboration est première même si la compétition ressurgit à certains moments de l’année comme en période de reproduction. Ainsi, les oiseaux peuvent être très compétitifs dans leur approche des territoires et bien-sûr des partenaires mais en période de disette –en hiver– leur comportement tourne à la collaboration parce qu’il faut faire des réserves et rechercher de la nourriture. Ce modèle de partage constitue une approche beaucoup plus intéressante puisqu’elle permet la survie du plus grand nombre.

un autre exemple qui me vient à l’esprit dans cette approche collaborative est celui de la symbiose entre les racines des arbres et champignons : la mycorhize.

On s’est aperçu qu’il y avait un réel échange entre ces deux espèces vivantes. Étant donné que l’arbre est capable de sécréter des sucres grâce à la photosynthèse, ce que ne peut le champignon, l’arbre donne au champignon des sucres excédentaires en échange de quoi le champignon (grâce à sa surface d’absorption de mycélium beaucoup plus importante) est capable d’aller chercher plus loin l’eau et les sels minéraux dont l’arbre a besoin. C’est un échange win-win.

Ce deal va même plus loin. Grâce au réseau de champignons, une solidarité se crée entre petits arbres et grands arbres. On a souvent l’image que les petits arbres seraient désavantagés par rapport aux grands arbres car ne bénéficiant pas assez de la lumière naturelle. Avec le système de mycélium, les grands arbres donnent aussi leurs sucres excédentaires aux petits arbres. A notre échelle humaine, c’est un peu comme les allocations familiales…

Troisième niveau de ce processus : cet échange se réalise entre des espèces différentes, aussi diverses qu’un conifère et un peuplier. L’échange s’opère selon les variations climatiques que l’arbre est capable de supporter ; ainsi les arbres les plus en forme diffusent leurs éléments aux arbres les plus fragiles à un moment donné. On peut encore transfigurer cela à notre système de sécurité sociale.

La forêt repose sur un système d’échanges, de don et de troc

Ce mécanisme pose toutefois différentes questions cruciales quant à la gestion de nos forêts. En effet, quand on coupe un arbre vieux et de grande taille, on prive la forêt d’un donneur excédentaire avec l’ensemble de son réseau développé pour le captage de sels minéraux et la création de sucres. C’est pourquoi on ne coupe jamais un arbre seul, on coupe dans un réseau.

Pour reprendre le parallèle avec notre système humain, la montée en puissance de réseaux numériques horizontaux de plus en plus interconnectés ne permet-elle justement pas de mieux supporter une défaillance dans une maille du réseau ?

Cette vision est en effet intéressante car elle nous ramène à notre sujet ; on doit sortir de cette vision où l’on se concentre sur les choses, et se concentrer plutôt aux relations entre les parties. Ce sont ces mêmes relations entre les personnes, entre les groupes qui fonderont notre futur.

« Less is more » : comment mieux mutualiser les ressources ou permettre d’augmenter les capacités productives par les innovations de procédés ou matériaux, quelles illustrations dans les milieux naturels ?

Nos besoins de fabrication sont très énergivores car on a des procédés industriels nécessitant de hautes températures, de hautes pressions, de nombreux solvants. Dans le vivant, tout tourne, les procédés sont à faible température, pression ambiante, on n’a pas ce poids sur l’environnement. Ce qui est fantastique dans ce système justement, c’est que plus il y a de la biodiversité, plus la production est grande et plus la vie est florissante.

Notre système économique par contre est construit sur une base très linéaire qui est destructrice pour la vie. Dans le vivant « less is more » concerne surtout les applications techniques où la forme va constituer la fonction. Si l’on prend l’exemple des os humains, ils sont creux mais suffisamment solides pour nos actions au quotidien. De nombreuses applications existent, surtout en architecture : nouveaux matériaux mais surtout nouvelles formes. Au global, les choses avancent dans la bonne direction même si chaque année on émet encore davantage de C02.

Au bouleversement des méthodes de management ou d’organisation, on voit l’affirmation grandissante des bienfaits des dynamiques de participation en entreprise autour notamment de l’intelligence collective elle-même souvent inspirée de la nature…

De nombreux ouvrages traitent de ce sujet, je retiendrai particulièrement Smart Swarms qui parle d’intelligence collective dans les systèmes animaliers et le met en rapport avec nos sociétés humaines. Classiquement, en prenant les fourmis, ces animaux ont une présence sur Terre de près de 400 millions d’années, soit bien plus longtemps que l’être humain ; il y a donc un intérêt à comprendre comment elles travaillent et s’organisent.

Une fourmi n’a que 10 secondes de mémoire, elle a donc besoin d’être en interaction constante avec ses congénères pour se rappeler sa tâche et avoir des indications sur la suite. Avec ce phénomène émergent, sans contrôle ni centralisation, les fourmis ont inventé l’agriculture ou la maison passive.

“Dans l’intelligence collective animale, un individu seul n’est rien”

Nous, les êtres humains, sommes tellement intelligents, qu’individuellement nous sommes capables de reproduire et répliquer un modèle. Toutefois, si l’on se mettait à appliquer certaines règles de l’intelligence collective animale, particulièrement aujourd’hui dans une situation de crise qui va probablement durer, cela nous éviterait de nombreux dégâts.

Cela nécessite une très forte évolution des mentalités, le compétitif de l’égo doit être mis de côté : complexe au vu du système dominant très pyramidal dans lequel on est immergé depuis la petite enfance puis l’école jusqu’au monde de l’entreprise.

Smart cities, smart grids, l’intelligence semble partout, est-ce que l’homme est plus intelligent dans sa façon de gérer ses ressources ?

Il y a un changement de paradigme, les personnes même très haut placées dans les secteurs traditionnels et polluants recherchent d’autres modes de management et de fonctionnement avec souvent à la clef de très bons résultats. La question est cependant difficile, on peut être intelligent collectivement tout en étant très polluant et à l’inverse d’un développement soutenable.

On est actuellement au début d’un long chemin où il faut concevoir l’objet pour durer via notamment l’économie de fonctionnalité, avec la possibilité de changer les pièces facilement en réparation et d’assurer en fin de vie un recyclage efficace avec une séparation maximale des différentes matières. Cela nécessite une reconception de nos objets en mode cradle-to-cradle, voire même en s’inspirant du fonctionnement du vivant où tout se construit et tout se décompose jusqu’au niveau de l’atome. Beaucoup d’innovations sont en effet encore trop dans l’éco-efficience et non l’éco-effectivité. Il faut pousser à un autre système et ne pas rester dans un « polluer-moins » qui ne suffit pas.

Pour revenir à Biomimicry Europa et Greenloop, quelles sont les thématiques, projets sur lesquels vous travaillez en particulier ?

Le volet éducation et formation est très important pour le biomimétisme en Europe. Il s’agit de réapprendre à se connecter à la nature et admettre qu’on fait partie de la grande toile du vivant et qu’on ne pourra faire sans.

Un de nos grands projets se fonde sur la connaissance des principes du vivant appliqué à des entreprises pour leur permettre d’innover dans leur business model. Par un processus de création en spirale, on amène les personnes à travailler sur un sous-ensemble de principes, plus applicable à leur problématique dans le but de faire évoluer leur structure et chercher à provoquer l’innovation.

En parlant d’innovation, comment les recherches et avancées dans le biomimétisme sont-elles rendues publiques et accessibles, quel est ton point de vue sur l’open-source en matière de recherche bio-inspirée ?

Les méthodes doivent être open-source, tout comme évidemment les principes du vivant. Cependant, quand une firme conçoit une application suite à l’étude d’un être vivant, elle va protéger cette découverte ; il s’agit du biomimétisme d’application industrielle. Par exemple, un industriel cosmétique va faire de la recherche sur l’œil du phoque pour ses propriétés anti-UV, le breveter et l’appliquer à ses nouveaux shampoings. Dans ce cas, il devrait y avoir un système de compensation où une partie de l’investissement de recherche sert également à la protection du phoque. Ce système n’a pour le moment pas vu le jour.

Par contre, le brevetage du vivant doit être sévèrement combattu : il n’y a aucune invention, c’est une forme d’appropriation du bien commun. Des peuples ancestraux et certains animaux comme les singes connaissent les propriétés de végétaux spécifiques pour se soigner. Ce problème de brevetage est particulièrement actif dans l’industrie pharmaceutique, il faut s’en insurger.

Pour finir, est-ce que le biomimétisme serait un moteur de notre transition écologique, à quels freins ou blocages faites-vous face ?

Le premier blocage sur lequel on reste prudent c’est que la plupart des personnes se considèrent comme « hors-nature », supérieurs à la nature ; il est alors délicat d’entrer dans ce débat qui devient rapidement idéologique et historique. On pourrait dire « L’homme a besoin de la nature et la nature a besoin de l’homme » sauf que ce système ne va que dans un seul sens.

On part donc du biomimétisme comme outil de la durabilité avec une prudence sur les mots, on n’utilisera pas « life principles/ principes du vivant » mais plutôt « principe d’innovation inspiré de la nature ».

Pour moi, il est d’une évidence limpide que pour la durabilité, l’homme respecte les flux bio-géo chimiques de la planète et les perturbe le moins possible pour rester dans des états stables qui lui permettent d’y vivre. Pour cela, il faut s’inscrire dans ces flux et bien les connaître.

Mais le biomimétisme doit encore faire des progrès dans ses applications concrètes pour parler aux entreprises et pouvoirs publics. Le biomimétisme seul n’est rien, s’il veut être efficace il doit s’associer et s’hybrider à d’autres disciplines. In fine, le biomimétisme c’est toujours des rencontres.

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